Gif Atelier


L'atelier d'écriture de Gardanne se déroule au siège de l'AAI, 35 Rue Borely, 13120 Gardanne
chaque vendredi de 14h à 16h.
Pour contacter l'AAI utiliser l'adresse e-mail : aai.esj@wanadoo.fr ) ou téléphoner au 0442515299

L'atelier d'écriture de la Méjanes d'Aix se déroule chaque jeudi de 10h à 12h à la Mareschale, 27 avenue de Tübingen 13090 Aix-en-Provence (TEL : 04.42.59.19.71 - e-mail Ecrits.Alaai@gmail.com ) et aussi le premier lundi du mois (même heure, même lieu).

L'animation ci -dessous représente l'aspect avant tout ludique de cet atelier gratuit ouvert à tous. Du rire et de la légèreté...

vendredi 26 octobre 2012

La machine de Belletto & Avatars

Textes produits pour l’atelier du vendredi 26 octobre 2012

 

1

Lui, Léonard, donnerait plusieurs coups. La victime saignerait beaucoup, elle geindrait et se tortillerait avant de mourir. Dans un éclair, il se vit la frappant en plein cœur : un jet de sang lui éclabousserait le front,  les yeux, la bouche, la langue – quelques secondes avant le dénouement.

2

A la télé, il était tombé sur une séquence de cinéma dans lequel un classique tueur de femmes tuait une classique prostituée.
« Ca t’intéresse vraiment ? » demanda sa mère.
Non, je préfère Zorro.

3

Il atteindrait que sa mère soit couchée pour la tuer. Il la tuerait dans son lit.
Bientôt.
Clac! Il remit Zorro.
 
                                          *            *            * 
 
Léonard n’avait pas toujours été aussi sanguinaire. Autrefois, il ne lui serait jamais venu à l’esprit de massacrer sa propre mère. Non, son caractère s’était assombri depuis qu’il avait été refusé par l’école des beaux-arts.

vendredi 19 octobre 2012

Proêmes sur l’objeu de Ponge


Vénus, déesse de l'amour, naissant dans une coquille St Jacques - Sandro Botticelli


La coquille St Jacques


Sa première lettre nous la dessine.
On ne voit qu’elle pourtant elle protège religieusement un met cher à nos assiettes. Souvent on la rencontre chez les croyants et pas seulement aux fêtes de fin d’année.
Elle est belle, gardée pour recueillir dans son fond dépossédé de son être toutes sortes d’offrandes, bijoux, pièces…
Elle est aussi déshonorée quand elle devient cendrier. Elle reçoit parfois à nouveau un parent de celle qui a grandi en elle, à qui elle a permis de devenir charnue, onctueuse, goûteuse.
Sa forme nous invite à l’emplir, son arrondi est accueillant et son couvercle protecteur.
On hésite à la jeter, la sacrifier, la voir dans la poubelle arrête l’œil comme une coquille dans un texte.
(Brigitte)


Le bigorneau commun


Il se découvre à marée basse, ce gastéropode fait le bonheur du badaud qui lorgne au fond du seau son butin, les bottes aux pieds, le bigorne s’avère intéressant par temps pluvieux.
Sans fruit son absence sur un plateau ferait défaut pour ne pas noircir la coquille.
Sans définir l’origine, les gens du pays l’appelle vigneau, pilo ou poulot, bigorne, Bigourounen mélen pour tous ceux du Nord de la Bretagne.
En famille le poulot agrippera avec attention les plus jeunes.
C’est après un court passage au court bouillon qu’il se dégustera même par le pêcheur en herbe piqué dans sa chair.        
(Didier L.)

L’oursin


Il en existe plusieurs centaines mais dans nos régions se détachent plutôt 3 variétés : le violet, le vert, le granuleux. Se sont des échinides divisés en deux groupes : les réguliers et les irréguliers.
L’oursin ou châtaigne de mer vit en général à faible profondeur. On mange les gonades lorsqu’on arrive à retirer les piquants avec les ciseaux spécialement conçus par les habitants de la région toulonnaise et surtout de l’Arsenal.
On coupe sur le coté bouche en s’écartant vers l’extérieur en faisant attention qu’il n’y a pas de piquants tombés à l’intérieur et on mange la partie jaune orangée sur des morceaux de pain à l’ancienne grillés au feu de bois avec un filet d’huile d’olive et un filet de citron.
C’est délicieux.
L’oursin est hermaphrodite néanmoins il devient une denrée rare depuis une quinzaine d’années.

Pourtant
C’est un ours, on doit s’en méfier
C’est un saint, on doit le respecter
C’est un sein, on en a envi
Et on mange son sexe, on s’en régale
Mais on arrive à supprimer ses piquants pour se délecter de son nectar.
(Christian Duvoy)

La moule


La moule, coquillage ou sexe de la femme, baveuse dans les deux sens, cachée dans sa coquille pour la première et dans son string pour la seconde et comestibles toutes les deux pour une période limitée.
Molles à l’intérieur comme du mou de chattes, la boucle du L fait aussi penser à la forme de la coquille et le bas fait penser à la partie d’où sort la barbe pour qu’elle s’accroche aux rochers.
Toujours en groupe sur les rochers, comme des lesbiennes à la gay pride, leurs coquilles font penser à une madeleine pour l’une et à un abricot pour l’autre.
La quantité de moules est toujours placée entre mole (ou môle) et multitude.
Blanchâtre à la période de la reproduction, elle ne donne pas envie d’y mettre la langue.
(Florent C.)
[*sur Firefox le L *n'apparaît pas avec sa boucle. Utiliser I.E. ou Google chrome ou safari pour la voir.]


Le violet de roche


    Le violet est habillé d’une tunique aux couleurs dissimulatrices porteuse d’un microcosme parasitaire utile. Cet être marin, exclus des mollusques, peut se contracter pour se rendre quasi-invisible dans un décolleté rocheux en forme de V. Il n’a pas la brillance d’un bijou, pourtant  si proche du biju sétois mais plutôt celle d’une patate marine.
Le sel de sa vie passe d’un siphon buccal aux huit bandes violettes sur fond blanc à un autre siphon jumeau, éjecteur de déchets, tirant tout autant vers le rouge et aussi beau. Et tout cela pour nourrir ses deux gonades jaunes orangées d’une puissance sexuelle remarquable et très goûtée des méditerranéens. La gonade, aussi grosse soit-elle ne se mastique pas. Elle s’avale.

   Idole, remède de mer : l’iode… de cette patate ou figue de mer attire ou repousse par son odeur mais soigne toujours la tyroïde. Qualité qui en ces temps nucléaires cause le dépeuplement de ces tuniciers violés.
(Rolland Pauzin)



Des montagnes sur la mer


   Il persiste des dunes, plateaux, pics, escarpements, et buttes, battis sur la surface aqueuse de la terre, qui n’ont pas étés aplatis par le clapotis et le roulement des vagues. Les enfants les appellent « chapeaux chinois » ; les savants, des patelles. En anglais, c’est entre autre, des barnacles , les mêmes bernacles qui s’attachent aux coques des navires. En français de Bretagne, c’est la bernique.

   Ils peuvent être définis scientifiquement comme des amassements variés, souvent anciens, de petits animaux marins pourvus de coquillages, carapaces (crustacés ou mollusques), ou des os de petits poissons, morts pour la patrie, pour la faune du littoral, qui s’attachent les uns aux autres d’une ténacité plus farouche que celle d’une mouche à merde. Ils forment des îlots stables sur la face du flot.

   Certains anthropologues postulent que les patelles sont des déchets de repas humains qui datent d’un temps ou les nomades ont découvert les fruits de la pèche et se sont sédentarisés. Les patelles témoignent donc d’une ère ou les hommes ont cessé leurs pérégrinations (leurs allés et venues) et se sont installés sur la rive maritime, avant de s’emparer des terres intérieures et de s’atteler à l’élevage ou au pâturage.

   Les patelles, ces animaux-objets entassés à la frontière des eaux, sont les remparts du no man’s land du flux. Ils sont les catacombes souvent surélevées (de presque cinq mètres au-dessus de la mer), qui symbolisent peut-être les peuples déchus,  des bipèdes qui ont perdu le désir d’aller de l’avant. 
(Michel René Alix) 

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Rappel de la consigne : écrire un « objeu » en utilisant le style de Francis Ponge, voir l’huître.
Choisir une des options suivantes :
La moule – l’oursin  – l’étoile de mer – la coquille Saint-Jacques    le bigorneau –
l’arapède ou patelle/bernique/ chapeau chinois – le couteau de mer/solen vaginal – 
le violet/bichu/Figue de mer (Microcosmus sabatieri) –  le poil – le croissant – l’algue   

Points à développer :
  1. Description dans un style encyclopédique. Tout doit sembler objectif (mais n’oublions pas le titre du recueil : Parti pris…)
  2. Jouer sur les lettres, mots, sons, mots gigognes, formes des lettres, mots précédents et suivants dans un dictionnaire, oxymores, palindromes, synonymes, homophones, anagramme … pour développer des arguments soi-disant objectifs
  3. utiliser d’autres angles pour définir cet objeu : l’étymologie, comment prendre l’objet, le cuisiner, l’ouvrir, le couper, le manger, les symboles qui s’attachent à lui, le rapport aux chiffres, l’utilisation dans l’Histoire etc.
  4. utiliser de l’humour subtil, utiliser un style décalé lorsque c’est possible

L'huître

      L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos.
      A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords.
      Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner.

Francis Ponge - Le parti pris des choses (1942)

jeudi 18 octobre 2012

Projeu de proêmes sur l’objeu de Ponge


Consigne pour l'atelier du 19/10/2012 écrire un « objeu » en utilisant le style de Francis Ponge, voir l’huître, et en utilisant un des objets suivants :
La moule – l’oursin  – l’étoile de mer – la coquille Saint-Jacques    le bigorneau –

vendredi 12 octobre 2012

La première gorgée de bière et des instants gardannais


Vendredi 12 octobre 2012

Consigne: écrire des instants minuscules à la manière de Philippe Delerm

Train à vapeur 

La pancarte et la fiancée


   On sait bien que, quand on est amoureux on fait n’importe quoi, surtout à 15 ans.
   On attend sa dulcinée. On sait qu’elle va arriver vers 17h et qu’après on va se balader en la raccompagnant chez elle mais en prenant le chemin le plus long.
   Quand on arrive sur le lieu où elle est, normalement là on la cherche du regard, si on ne la voit pas tout de suite, c’est la panique et on tourne la tête à gauche, à droite. On regarde sa montre, peut-être qu’elle ne marche pas, qu’elle est en panne. On tapote dessus. Si ! La trotteuse fonctionne.
   Alors qu’est-ce qui se passe ? le bus ? En retard ou il était en avance et elle est déjà partie sans nous attendre ? Pas possible.
   On avance doucement sans savoir où aller et tout à coup un bruit de gros moteur. C’est le bus qui arrive derrière mais on se retourne tout content et on ne se rappelle plus qu’il y a un superbe panneau en béton et quand il nous arrive dans la tête, le son du choc fait qu’on n'entend plus le bruit du moteur ni celui de l’être attendu. On a l’air tout simplement con, surtout que ce n’était pas le bon bus !
(Chritian Duvoy)

Le réveil sonne


   Le réveil sonne. On l’éteint violemment. On enfile les pantoufles au radar. Bon sang ! Où est passé le pied gauche ?. On s’enroule dans la robe de chambre qui traîne parterre. On renverse du déca  à coté de la tasse, sur la robe de chambre puis on se pose sur le coin du canapé avec déjà la clope au bec. Ah ! La première bouffée qui nous fait nous arrondir et replonger au fond de la robe de chambre en tournant la cuillère dans la tasse. Merde ! On n’a pas mis le sucre ! On la tète cette première clope avec des gorgées de déca intercalées. Elle est déjà finie.
   Bon, on en allume une autre ou on file à la salle de bain en s’interdisant de réfléchir ?
   On abandonne la chaleur du lit sur le canapé en même temps qu’on sort de la robe de chambre en se disant :
Pourquoi si tôt ?  
(Brigitte)

Un jour ordinaire qui commence


      Un rayon de soleil pénètre la chambre qui s’envahit de bien-être. On se perd en songes quand soudain : « Chéri, le petit déjeuner est prêt. J’ai été acheté des croissants. »
-         Merci amour, tu peux me passer ma rocbe de chambre. Je vais te conduire à ton travail si tu veux. C’est sur ma route.
-         Merci. C’est sympa. Et ce soir comment je rentre ?
-         Je viendrai te chercher.

On est si bien quand la journée commence si bien. Comment décrire ces moments ordinaires ? On ne demande rien et même le patron vous ouvre la porte en entrant au bureau… Quand soudain on entend une sonnerie qui nous ramène à une réalité un peu moins plaisante.
Après tout, on est quand même pas si mal quand on prépare le petit déjeuner pour tout le monde.
(Didier L.)

Marseille-Ajaccio


   On s’amusait bien avec mes cousins durant la traversée Marseille-Ajaccio quand on était petit. On ne dormait pas de la nuit. On explorait le bateau dans tous ses recoins. On passait des heures à jouer aux jeux vidéo.
   On tapait aux portes des chambres des autres passagers pour les réveiller. On versait de la soupe de notre grand-mère dans les toilettes et dans les couloirs pour faire croire que c’était du vomis…
   On rigolait bien à cette époque.
(Florent C.)

Les flyers


   Lorsqu’on marche au centre ville c’est parfois qu’on a quelque chose de précis à y faire. Un rendez-vous avec un ami qu’on n’a pas vu depuis longtemps, ou chez le médecin ou des courses à faire dans ce si joli magasin. Parfois, on n’a pas d’objectif précis et on sort juste pour prendre un peu l’air. On a passé la journée enfermé, sur l’ordinateur et on se dit qu’un peu d’animation ferait du bien. Mais on sort rarement dans l’intention de collecter des programmes culturels.
   Le flyer ou autre plaquette colorée se présente à l’improviste. Il surgit à la hauteur du comptoir d’un café. Il est exposé sur un présentoir de boutique pour attirer le chaland. Il surgit parfois d’endroits parfois improbable : boulangerie, boucherie, camion à pizza. Ses couleurs vives attirent l’œil. On se laisse tenter. On aura bien un moment pour aller au spectacle. Ou alors on est très disponible. On fait la razzia. On les prend tous. Même ceux des autres départements. On sait jamais. On ira peut-être.
   Les flyers viendront donc s’entasser au fond du sac. On aura bien un moment pour les consulter. Voir ce qui est vraiment intéressant. On en prend d’autres au cas où.
Puis on jette le tout quand le sac à main déborde.
 (Zoeffine)

Le voyage dans le train des vacances


   À la période des vacances, on prenait le train pour aller voir la famille. Un train à vapeur ou parfois un des premiers trains électriques.  On cherchait le bon wagon puis on trouvait le bon compartiment avec ses deux banquettes faites de quatre sièges et trois accoudoirs. Une cloison épaisse séparait cet espace vital du compartiment suivant. Aussi on s’appropriait son nouvel habitat, sa nouvelle caravane.
   Les premiers bonjours étaient timides, les premiers pas pour trouver sa place sous une photo en noir et blanc d’un paysage bien français étaient précautionneux et puis on s’asseyait. Chacun jaugeait et jugeait probablement ses nouveaux voisins. On attrapait le rictus d’un d’eux mais dès qu’il tournait la tête on en faisait de même en donnant l’impression de n’être intéressé que par les photos ou le contenu d’un cendrier. Surtout ne pas sembler être trop curieux ou pire voyeur.
   Au bout d’une vingtaine de minutes une première conversation commençait généralement sur le temps ou le paysage ou la fenêtre entre-ouverte qui laissait passer un peu trop de fumée. Des phrases sages et polies jusqu’au moment du casse-croûte. Là, une personne sortait de son sac le pain, le vin (si c’était un homme) et le sauciflard ainsi qu’un Opinel de bonne taille. Premières bouchées suivies des premières offres aux voisins : « Vous prendrez bien un peu de saucisson. C’est du pur porc, vous savez. »
   Premiers sourires, premiers refus de politesse, un autre panier était ouvert par la mère près du couloir. Elle aussi offrait un bon sandwich d’abord à son enfant qui regardait les pilonnes et les vaches défiler à travers la vitre plus ou moins tachée puis aux colocataires temporaires. Premières blagues, premiers éclats de rire, premiers rappels à l’ordre sous la forme de coups de sifflets.
   La locomotive 241 P 35 ralentissait et s’arrêtait à la gare. Des passagers aux valises lourdes descendaient et l’on entendait divers « dépêche-toi ». La tension de ces vagues montantes et descendantes contrastait avec le ton désormais rigolard envahissant le compartiment. Au son du sifflet du départ, l’enfant qui avait un besoin pressant pouvait enfin aller aux toilettes – l’interdiction était passée – et pendant qu’il s’était éclipsé des bouquets de compliments sur cet enfant « bien sage » étaient envoyés à la maman.
   Trois heures de partage dans cette ambiance chaleureuse avaient détendu les zygomatiques avant les pressés « dépêche-toi » de la fin de son voyage.   

(Rolland Pauzin avant qu’il ne lise la version de Philippe Delerm qui contient pas mal de détails très similaires tel l’Opinel, le saucisson, les photos en noir et blancs, les regards … mais je pardonne P. Delerm pour son plagiat par anticipation. Ah ! si Rolland avait siroté la première gorgée de bière de Philippe plus tôt, il n’y aurait pas eu de « copiste » dans cet atelier !)

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Texte lu avant de faire l'exercice : L'inhalation de Philippe Delerm (un des 34 textes de la première gorgée et les plaisirs minuscules)


L'inhalation


   Ah! Les petites maladies de l'enfance vous laissent quelques jours de convalescence, à lire au lit des Bugs Bunny! Hélas, quand on vieillit, les plaisirs de la maladie deviennent rares. Il y a le grog, bien sûr. Prendre un bon grog corsé tout en se faisant plaindre est un moment précieux. Mais plus subtile peut-être est la volupté de l'inhalation.

   On ne s'y résout pas tout de suite. De loin, l'inhalation paraît amère, vaguement vénéneuse. On l'assimile aux gargarismes, qui laissent dans la bouche un goût fade et cuivré. Mais après tout, on est si mal, la tête lourde et prise. On a soudain l'impression qu'un peu de mieux viendra de la cuisine. Oui, près du fourneau, de l'évier, du réfrigérateur, une espèce de simplicité fonctionnelle peut vous soulager. Le flacon de Fumigalène est là, sur l'étagère, à côté des sachets de tilleul et de thé. Sur l'étiquette, un profil démodé happe avec délice une volute de fumée blanc neige. C'est cela qui décide: cette impression de renouer avec un rituel démodé.
   On fait chauffer de l'eau. Autrefois, on avait un inhalateur en plastique dont les deux parties se déboîtaient toujours et qui laissait des cernes sous les yeux. En éloignant un peu son livre, on pouvait même lire. Mais maintenant, on a perdu cet appareil, et c'est encore mieux. Il suffit de verser l'eau bouillante dans un bol, d'y ajouter une cuillère de ce liquide doré, translucide, qui aussitôt versé diffuse un nuage verdâtre, pois cassé. On se couvre la tête d'une serviette-éponge. Voilà. Le voyage commence, et l'on est englouti. De l'extérieur, on a toutes les apparences de quelqu'un qui se soigne sainement, avec une énergie mécanique et docile. En dessous, c'est autre chose. Une sorte de ramollissement cérébral gagne, et on plonge bientôt dans une moiteur confuse. La sueur monte aux tempes. Mais c'est à l'intérieur que tout se joue. Une respiration régulière, profonde, apparemment vouée à la libération méthodique des sinus, initie au pouvoir du Fumigalène pervers. Parfaitement immobile, on erre délicieusement avec des gestes d'une ampleur amphibienne dans la jungle pâle du poison vert tendre. L'eau vient de la fumée, la fumée vient de l'eau. On se dilate dans l'évanescence, et bientôt la torpeur. Tout près, très loin, des bruits de repas préparé viennent d'un monde simple. Mais immergé dans la vapeur des fièvres intérieures, on ne veut plus lever le voile.

(La première gorgée et les plaisirs minuscules de Philippe Delerm)


Voilà le texte de P. Delerm sur le vieux train. Texte qui n'avait pas été lu dans l'atelier mais Rolland Pauzin, sans connaître ce texte, a écrit une version très ressemblante. Comme quoi ces instants ou plaisirs étaient bien partagés par de nombreuses personnes.


Dans un vieux train


   Pas dans le T.G.V., non! Ni dans le turbotrain, ni même dans un train corail. Mais dans un de ces vieux trains kaki qui sentent les années soixante. On s'attendait à l'asepsie fonctionnelle d'un wagon tout en longueur, à l'ouverture automatique d'une porte coulissante. Mais sur cette ligne familière, c'est bien un vieux train d'autrefois qu'on a remis en service ce jour-là. Pourquoi? On ne le saura pas.

   On avance dans le couloir. Le premier geste qui change tout, c'est de tirer la porte du compartiment. Dans une bouffée de chaleur électrique et molle, on accède par effraction à une intimité plus ou moins vautrée, plus ou moins distante: on vous toise de bas en haut. Foin de l'anonymat des wagons monolithiques! Ne pas saluer, ne pas s'enquérir de la possibilité de prendre place relèverait de la barbarie. Il y faut même une sorte d’inquiétude chagrine qui fait partie du rite. C'est le sésame. Ayant requis l'honneur de s'intégrer au salon familial, on y est accepté par un assentiment qui tient du borborygme.
   Dès lors, on peut se caler coin-couloir et déplier les jambes. Le regard de chaque passager obéit à une petite gymnastique instinctive et complexe: pause possible sur le sol noir caoutchouté, entre les pieds des occupants; pause prolongée bienvenue juste au-dessus des visages. Les positions intermédiaires – les plus intéressantes pourtant – sont à effectuer furtivement. Mais nul n'est dupe: l'acuité de l'œil dément alors la pudeur de sa course. Une échappée vers le paysage semble de bon aloi, avec étape sur les cendriers plombés gravés S.N.C.F. Mais c'est en haut, près du miroir clouté, que l'œil revient se poser à son aise. Dans un petit cadre métallique, le cliché noir et blanc de Moustiers-Sainte-Marie (Hautes-Alpes) ne suscite pourtant aucun désir d'évasion. Il éveille davantage une vie ancienne, propre aux usages compartimentaux, aux casse-croûte. On y respire presque une odeur de saucisson coupé à l'Opinel, on y pressent le déploiement de la serviette à carreaux rouges. On se replonge dans l’époque où le voyage était évènement, où l'on vous attendait sur le quai de la gare avec des questions protocolaires:
   – Non, j'étais bien. Coin-couloir, un jeune couple, deux militaires, un vieux monsieur qui est descendu aux Aubrais.


(La première gorgée de bière et les plaisirs minuscules de Philippe Delerm)

Photo: Train à vapeur des années 1950-1960

dimanche 7 octobre 2012

Le baiser génère du bonheur

L'horloge et l'arbre de Dali


Deuxième exercice du vendredi 5 Octobre était le suivant :

Chaque participant prend un des livres posés sur la table et traitant de sujets très variés.
il prend dans une page 1 nom 1 verbe 1 adjectif  et un autre nom
Puis refait un autre choix  dans deux ou trois autres pages (en fonction du nombre de participants)

On construit ensuite un texte de la façon suivante :
Prendre le nom du premier participant, le verbe du second, l’adjectif (ou l’adverbe) du troisième puis le nom du quatrième pour former la première ligne. Et ainsi de suite jusqu’à ce que l’on obtienne environ 10 phrases/lignes.

On se permet d’intervertir verbe et adjectif ou nom et adjectif et l’on ajoute des mots de liaisons pour donner au texte une allure plus cohérente.

Solutions proposées pour ce travail en commun :

Tout baiser génère du bonheur


Sur la fenêtre un baiser incompréhensible. Une femme
de Bougie parle comme un insignifiant phoque
Au cardinal qui pêche devant trois horloges froides :
« ô, triade mystérieuse que mastique le canaque ? »

Son cœur entendu sous sa belle main
homozygote bat encore tandis qu’un arbre aussi singulier
qu’un piano, s’étudie à travers des lunettes successives.

Mais l’évènement lasse les amoureux du jardin.
Lors un doigt excitant change leur haleine
Et leurs yeux reviennent au bonheur quotidien.

TABLEAU : l'horloge et les montres molles dans "persistence of memory" de SalvadorDali (persistance de la mémoire) 

vendredi 5 octobre 2012

Femme nue, femme noire - style invocatoire africain



Vendredi 5 octobre 2012

Illustration d'une "Femme nue, femme noire" de L. S. Senghor par  Marie Guillemine Benoist (1800)


Le premier exercice utilisant le style invocatoire de la poésie africaine (voir consigne au bas de la page) a permis de produire les poèmes suivants :

Enfant rude, enfant roi


Enfant rude, enfant roi
Je t’ai donné la vie, je ne la garde que pour toi
C’est très dur mais tu y as droit,
Tu ne me l’as pas demandé mais c’est ma mission
Je le sais, je le sens tout au fond.

Enfant rude, enfant roi
Aide-moi à aller jusqu’au bout
Oblige-moi à ce qui là,
Me porte et à la fois m’insupporte
Sinon pourquoi t’avoir créé.

Enfant rude, enfant roi
Vis la vie que tu aimeras
Fais ton choix en dehors de moi
Je te la souhaite si belle
Qu’un jour par elle tu t’en iras.

Enfant rude, enfant roi
Non, je ne t’oblige pas
Mais je serai toujours là
Au fond de ton cœur immense
Ma place à moi elle est là.

Enfant rude, enfant roi
Malmène-moi, tu en as le droit
Tu n’as pas choisi d’exister
Dans ce monde où tu seras
Toi aussi malmené par toutes ces réalités.

(Brigitte)
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Mistral fou, Mistral froid



Mistral fou, Mistral froid
Les tuiles volent par ton souffle
Les ifs et cyprès courbent leurs dos sous ton poids
Les cheveux se battent entre eux grâce à toi.

Mistral fou, Mistral froid
Pourquoi pousses-tu toujours vers le Sud ?
Pourquoi cette violence qui nous rend fou aussi ?
Pourquoi cognes-tu nos volets et nos portes ?
Personne ne veut que tu nous emportes.

Mistral fou, Mistral froid
Les enfants s’excitent avec ta folie
Les parents giflent les joues en furies
Les vieux tombent à genoux en te suppliant…
Et toi tu t’amuses sur nos ponts.

Mistral fou, Mistral froid
On compte tes jours.

(Rolland Pauzin)

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Canto carré, canto coupé


Canto carré, canto coupé
Au son superbe, supplicié
Aux sentiments saccadés
Aux syllabes sectionnées
J’écoute tes soupirs stylisés

Canto carré, canto cloué
Tantôt taré, tantôt étripé
Toute turpitude tassée
Toute amplitude pelotée
J’entends tes tons crispés, tonifiés

Canto carré, canto coupé
Clone calfeutré, constipé
Communication quantifiée
Coup de cloche cassée
Approche ton creuset criblé

(Michel René Alix) -  5 octobre 2012


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Fête belle, fête bleue


Fête belle, fête bleue
Corse éternelle, Corse rebelle
Vacances de rêve, vacances trop brèves
Filles de rêve, filles de mes rêves

Fête belle, fête bleue
Eau limpide, eaux impulsives
Montagnes extrêmes, montagnes superbes
Brumes rosées, brumes de mes pensées

Fête belle, fête bleue
Plages dorées, plages adorées
Sable blond, sable rond
Femmes bronzées, femmes sucrées

Fête belle, fête bleue
Nuits agitées, nuits partagées
Réveil difficile, réveil d’un sourcil
Café énergique, café tonique

Fête belle, fête bleue

(Christian Duvoy)
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Exercice écrit le  09/11/2011 pour l’atelier d’écriture des archives du cg13
et revu le 5 octobre 2012 pour cet atelier

Femme rouge, femme fauve de Fernand Khnopff

Femme rouge, femme fauve


Femme rouge, femme fauve
des années folles,
des trottoirs de la ville
des marins débarqués
Cours-tu encore à travers l’imaginaire des clients amoureux ?

Femme rouge, femme fauve
Échappée du carcan familial
Échappée du traintrain déprimant
Échappée de l’église
Cours-tu encore à travers les rues de ta prison ?


Femme rouge, femme fauve
battue par ton mec,
par ton mac
par ton micmac
passes-tu encore à travers les coups de mains des cow-boys ?

Femme rouge, Femme russe,
rousse, rougissante, rougeoyante, rutilante
mais jaunie par la cibiche
Brûles-tu encore ?

(Rolland Pauzin)

Femme rousse de Toulouse-Lautrec
Femme rousse assise Tououse-Lautrec

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Matériel de référence utilisé pour la première consigne :

Femme nue, femme noire


Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté
J'ai grandi à ton ombre; la douceur de tes mains bandait mes yeux
Et voilà qu'au cœur de l'Été et de Midi, je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l'éclair d'un aigle.

Femme nue, femme obscure
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche
Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d'Est
Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur
Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée.

Femme nue, femme obscure
Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l'athlète, aux flancs des princes du Mali
Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau.
Délices des jeux de l'Esprit, les reflets de l'or ronge ta peau qui se moire
A l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.

Femme nue, femme noire
Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Éternel
Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.

(Chants d'ombre – Léopold Senghor - Sénégal )