Gif Atelier


L'atelier d'écriture de Gardanne se déroule au siège de l'AAI, 35 Rue Borely, 13120 Gardanne
chaque vendredi de 14h à 16h.
Pour contacter l'AAI utiliser l'adresse e-mail : aai.esj@wanadoo.fr ) ou téléphoner au 0442515299

L'atelier d'écriture de la Méjanes d'Aix se déroule chaque jeudi de 10h à 12h à la Mareschale, 27 avenue de Tübingen 13090 Aix-en-Provence (TEL : 04.42.59.19.71 - e-mail Ecrits.Alaai@gmail.com ) et aussi le premier lundi du mois (même heure, même lieu).

L'animation ci -dessous représente l'aspect avant tout ludique de cet atelier gratuit ouvert à tous. Du rire et de la légèreté...

jeudi 18 octobre 2012

Projeu de proêmes sur l’objeu de Ponge


Consigne pour l'atelier du 19/10/2012 écrire un « objeu » en utilisant le style de Francis Ponge, voir l’huître, et en utilisant un des objets suivants :
La moule – l’oursin  – l’étoile de mer – la coquille Saint-Jacques    le bigorneau –
l’arapède ou patelle/bernique/ chapeau chinois – le couteau de mer/solen vaginal – 
le violet/bichu/Figue de mer (Microcosmus sabatieri) –  le poil – le croissant – l’algue   

Points à développer :
  1. Description dans un style encyclopédique. Tout doit sembler objectif (mais n’oublions pas le titre du recueil : Parti pris…)
  2. Jouer sur les lettres, mots, sons, mots gigognes, formes des lettres, mots précédents et suivants dans un dictionnaire, oxymores, palindromes, synonymes, homophones, anagramme … pour développer des arguments soi-disant objectifs
  3. Utiliser d’autres angles pour définir cet objeu : l’étymologie, comment prendre l’objet, le cuisiner, l’ouvrir, le couper, le manger, les symboles qui s’attachent à lui, le rapport aux chiffres, l’utilisation dans l’Histoire etc.
  4. Utiliser de l’humour subtil, des doubles sens,  utiliser un style décalé lorsque c’est possible.

L'huître

      L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos.
      A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords.
      Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner.

Francis Ponge - Le parti pris des choses (1942)

Le cageot


A mi-chemin de la cage au cachot la langue française a cageot, simple caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr une maladie.
Agencé de façon qu'au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il ne sert pas deux fois. Ainsi dure-t-il moins encore que les denrées fondantes ou nuageuses qu'il enferme.
A tous les coins de rues qui aboutissent aux halles, il luit alors de l'éclat sans vanité du bois blanc. Tout neuf encore, et légèrement ahuri d'être dans une pose maladroite à la voirie jeté sans retour, cet objet est en somme des plus sympathiques - sur le sort duquel il convient toutefois de ne s'appesantir longuement.

(F. Ponge, Le Parti pris des choses, 1942)

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Commentaire de Francis Ponge sur son poème en prose « L’Huître » au cours d’un entretien avec Philippe Sollers

Voilà le texte. Je le reprends. J’indique d’abord qu’il se divise, typographiquement, sur la page, en trois paragraphes. Le premier décrit l’huître close et la façon de l’ouvrir. Le second, l’intérieur de l’huître et le troisième, beaucoup plus court et qui ne fait que deux lignes, la perle qu’on y trouve parfois beaucoup plus court, évidemment, le troisième, parce que la perle est proportionnellement beaucoup moins importante, du point de vue du volume, enfin de l’importance quantitative, que l’huître elle-même. Donc, la division en trois paragraphes est déjà adéquate, si vous voulez, à l’objet.
« L’huître, de la grosseur d’un galet moyen, est d’une apparence plus rugueuse, d’une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. »
Il y a là évidemment une sorte de comparaison, le rapport de l’huître et du galet. Mais traitée, notez-le, de la façon la plus froide ; enfin, il me semble. (Vous avez entendu aussi la façon dont je lis ce texte, c’est-à-dire sans faire de trémolos, sans tremblement sentimental.) On peut croire, en effet, qu’il s’agit d’une pure description. Je définis sa taille, « de la grosseur d’un galet moyen », son apparence : plus rugueuse, sa couleur : moins unie, brillamment blanchâtre. Ici, j’insiste sur « brillamment blanchâtre ». Pourquoi ? Parce qu’il se trouve que les mots, quels qu’ils soient, même les mots abstraits, sont tous affectés d’un coefficient de valeur. C’est quelque chose d’un peu absurde, mais c’est comme cela. En français actuel, « briller », « brillamment » est affecté d’un coefficient positif (comme valeur morale, si vous voulez, ou esthétique). C’est bien, d’être brillant ; c’est beau. Briller, c’est positif. C’est affecté d’un coefficient positif. Au contraire, « blanchâtre », comme beaucoup de mots se terminant en « âtre », est affecté d’un coefficient négatif, péjoratif. C’est comme cela. C’est aussi absurde que le sexe des mots. Pourquoi les mots, certains mots sont-ils masculins, d’autres féminins ? Dieu sait pourquoi. Pourquoi sont-ils bons ou mauvais, au sens moral ? Dieu sait pourquoi. Toujours est-il que c’est comme cela. Eh bien ! le seul fait d’agencer un mot de coefficient positif, comme « brillant », et un mot de coefficient négatif, péjoratif, comme « blanchâtre », nous fait sortir du lieu commun. C’est-à-dire que « brillamment blanchâtre » est exactement le contraire d’un lieu commun. Et remarquez aussi ce que cela constitue du point de vue des qualités, si vous voulez, et là, nous en venons un peu déjà à l’anthropomorphisme qu’on me reproche. Évidemment, nous sommes dans l’anthropomorphisme à partir du moment où nous constatons objectivement que les mots sont affectés d’un coefficient moral. Nous y sommes, et nous ne pouvons pas faire autrement, et si nous voulons traiter les mots de façon communicative, nous sommes parfaitement obligés de tenir compte, et aussi de ne pas trop tenir compte, de combattre ces acceptions morales et sentimentales. Par conséquent, si je rapproche ces deux mots, je sors du lieu commun et je crée un caractère (au sens de caractère d’un héros de roman, par exemple) qui sera tout à fait hors des normes courantes, c’est-à-dire qu’il pourra y avoir un héros de roman qui sera à la fois brillant et blanchâtre. Voilà deux qualités, un complexe de qualités contradictoires qui crée un personnage, un caractère, un héros de roman si vous voulez, qui sortira du conventionnel. Bon. Ensuite, je continue :
« C’est un monde opiniâtrement clos. »
Alors, ici, une petite anecdote. Je suis arrivé un jour à Chicago, à l’Université de Chicago, pour y faire une conférence, ou plutôt une lecture commentée de mes textes. J’y ai lu cette « Huître », et je l’ai lue avec un commentaire à peu près celui que je suis en train de vous faire (à peu près, évidemment, puisque, chaque fois, c’est inventé, c’est déchiffré, comme on dit déchiffrer un morceau de musique, c’est improvisé). J’ai donc commenté de la façon que je fais et que je vais continuer à faire. Parvenant à ce mot, « blanchâtre », et, immédiatement ensuite, à « c’est un monde opiniâtrement clos », j’ai aussitôt ajouté, en commentaire, ceci : comment se fait-il que, dans ce texte, et il y a d’autres mots du même ordre plus loin, il y ait autant de mots qui se terminent par « âtre », c’est-à-dire par a (accent circonflexe), t, r, e. Eh bien ! ce n’est pas du tout par hasard, bien sûr. Je ne l’ai pas, non plus, fait exprès, bien sûr, mais j’ai été amené à laisser passer, à accepter des mots de ce genre. Pourquoi ? Eh bien ! parce que l’huître aussi, l’huître elle-même est un mot qui comporte une voyelle, ou plutôt une diphtongue si on veut enfin, uî-t-r-e. Il est évident que si, dans mon texte, se trouvent des mots comme « blanchâtre », « opiniâtre », « verdâtre », ou dieu sait quoi, c’est aussi parce que je suis déterminé par le mot « huître », par le fait qu’il y a là accent circonflexe, sur voyelle (ou diphtongue), t, r, e. Voilà. J’ai dit cela. Pourtant, dans l’assistance, il y avait un professeur, un professeur qui a acquis une certaine notoriété pour avoir écrit un essai important sur Robbe-Grillet. Ce professeur s’appelle Morissette. Dans son livre, M. Morissette reprend les arguments de Robbe-Grillet, théoriques, selon lesquels il faut faire quelque chose de parfaitement objectif et ne pas se référer aux sentiments ou aux choses de l’homme. Bon. (Que les choses sont seulement une surface, qu’il n’y a rien dessous, que c’est un monde impénétrable, que l’homme est parfaitement distinct de tout cela.) Alors, M. Morissette, à la sortie, m’a dit : « Mais enfin, avouez, dans votre huître, nous avons, par exemple, "c’est un monde opiniâtrement clos" : enfin, voilà bien de l’anthropomorphisme ! L’huître n’est pas opiniâtre ! Opiniâtre, c’est un caractère humain ! » Si bien que j’ai dû lui répondre, avec quelque agacement : « Écoutez, cher Monsieur, vous ne m’avez pas écouté, sans doute, parce que j’ai bien expliqué que si j’avais mis "opiniâtre", c’était à cause de l’accent circonflexe et du t-r-e. C’est en grande partie pour cela. Le fait que, par ailleurs, l’huître est difficile à ouvrir, il me paraît difficile de l’exprimer autrement qu’en prononçant le mot "opiniâtre". Enfin, il est évident que l’huître se referme quand on veut l’ouvrir, et que, donc... « Comment ne pas être anthropomorphe ? Cela, c’est une très grande question, mais vous n’avez tenu aucun compte de l’analyse littérale que j’ai faite de mon texte. Pourquoi, Monsieur ? Voilà une autre question, tout aussi importante. » Bon. Voilà pour « opiniâtre ». Je continue ma lecture.
« Pourtant, on peut l’ouvrir. II faut alors la tenir au creux d’un torchon, se servir d’un couteau ébréché et peu franc, s’y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s’y coupent, s’y cassent les ongles. C’est un travail grossier », etc. « A l’intérieur, on trouve tout un monde, à boire et à manger. »
Ici, je dois remarquer que j’emploie des expressions très courantes « tout un monde », par exemple, ou « à boire et à manger », mais je les emploie en leur redonnant toute leur force. Il est évident que, quand je parle de « tout un monde », et qu’ensuite, je parle des « cieux d’en dessus », des « cieux d’en dessous », du « firmament », il s’agit vraiment du cosmos, et en même temps, c’est l’expression courante « tout un monde » : il y a là plusieurs niveaux de signification. Par ailleurs, quand j’écris qu’il y a là « à boire et à manger », c’est exactement vrai quant à l’huître ; on boit et on mange ; mais quand on dit : « On y trouve à boire et à manger », c’est un lieu commun. Je reprends ce lieu commun. Cela peut se lire, tout uniment, comme cela, mais en même temps, je redonne sa valeur concrète à cette expression. Là aussi, il y a un double niveau de signification, au moins un double niveau. « ... sous un firmament à proprement parler de nacre ». Évidemment, là, il y a peut-être quelque chose d’un peu pédant, c’est-à-dire qu’il faut savoir que « firmament » signifie le ciel comme le concevaient certains Anciens, c’est-à-dire comme une coupole solide, ferme : firmament. Eh bien, la nacre, c’est évidemment quelque chose de ferme, de solide. Voilà qui va me permettre ensuite de parler des « cieux d’en dessus » et des « cieux d’en dessous », qui sont alors les deux parties comestibles de l’huître. Firmament, c’est donc un peu pédant. On ne m’a pas fait ce reproche ; on aurait pu me le faire. Là, je suis un peu cuistre, évidemment. Ce reproche, moi, je me le fais à moi-même. « ... pour ne plus former qu’une mare, un sachet visqueux et verdâtre ». Là, il y a une description, si vous voulez, en un sens, mais je crois qu’elle est très stricte, qu’elle ne tient pas beaucoup plus de place que le sachet lui-même, si vous voulez. « Sachet visqueux et verdâtre ». Eh bien ! étant donné aussi le nombre de voyelles, le u-e-u, qui est quelque chose de visqueux par lui-même, et, de nouveau, le « verdâtre », il me semble que je suis aussi proche que possible de la « vérité », si vous voulez, dans le langage, de ce que je veux dire. « Qui flue et reflue à l’odeur et à la vue, frangé d’une dentelle noirâtre sur les bords » (encore « noirâtre », naturellement). Là, c’est qu’il s’agit d’une portugaise, évidemment, parce que d’autres huîtres n’ont pas de dentelle noirâtre. Et enfin, l’histoire de la perle : « Parfois, très rare... ». D’abord, ici, « parfois, très rare », je travaille la syntaxe, parce qu’« on ne doit pas » dire cela ; « par-fois », c’est divisé en deux, si vous voulez ; de rares fois ; on devrait dire « parfois, très rarement », mais comme je veux être bref, parce que la perle est brève (c’est très, très concis, une perle) eh bien ! j’emploie cela, je force la syntaxe. « Parfois, très rare, une formule perle... ». On voit que je n’emploie pas le nom « la perle », j’emploie le verbe « perler », comme on dit « une larme perle » ou « une goutte de sueur perle ». « Une formule » : le mot est pris dans sa signification la plus complète, c’est-à-dire : qu’est-ce que c’est qu’une formule ? c’est une petite forme. C’est le diminutif de « forme ». Et en même temps, bien sûr, il s’agit de la formule, au sens d’un bref énoncé, d’une chose dite de la façon la plus brève, la plus résumante possible.

J’entre ici, évidemment, dans le... dans la signification... comment dirais-je ? profonde, d’art poétique, qui se trouve à l’intérieur de mon texte. II s’agit là, aussi, de la formule de langage. « Perle à leur gosier de nacre ». Inscrivant le mot « gosier », j’insiste sur le fait que cette formule est aussi une formule de parole. « ... d’où l’on trouve aussitôt à s’orner ». Il y a là comme une sorte d’autocritique à l’intérieur du texte, du fait que je m’orne, moi-même, de la qualité précieuse et rare de mon style. C’est-à-dire qu’on m’a fait, on me l’a fait très souvent, le reproche d’être précieux. Eh bien ! là, je me critique moi-même. Je m’orne, on s’orne, on fait une perle de cravate, on fait une épingle de cravate d’une perle, si on en trouve une, ou bien on va chez Cartier et on en obtient un certain nombre de centaines de mille francs, mais le plus volontiers, le poète ou l’écrivain s’en orne, d’une formule c’est dans Mallarmé -, dans l’espoir de s’y mirer. Eh bien ! ce n’est pas un miroir, mais c’est un ornement. Je crois que je vais en finir là, parce que le temps est bref, mais je n’ai pas du tout donné une analyse exhaustive du texte, loin de là. Voilà seulement ce que je pouvais en dire aujourd’hui.

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